Entretien avec un Nez Interviews

ENTRETIEN AVEC CLÉMENTINE HUMEAU – NEZ À BORDEAUX

Le Nez Insurgé a seulement quelques mois lorsque Clémentine Humeau passe la porte du 32 rue du Pas Saint Georges. Discrète derrière ses boucles brunes, pendant qu’elle explore tranquillement la sélection, on a parlé sous-bois, vetiver, rose oxyde, mentor et…mais vous êtes NEZ! Mes aïeux, on aurait tellement plus de questions à lui poser…

Vous avez plusieurs carrières à votre actif, qu’est ce qui vous a mené au parfum?

C’est le parfum qui est venu à moi ! Sans frapper à la porte. Sans que je le lui demande. Sensible à ses « petits messages », je lui ai juste laissé la porte ouverte ! Toute petite, sur les collines de Manosque, j’ai écouté cette Terre aux parfums éloquents. A l’époque, elle a gainé mes narines sans que j’en sois véritablement consciente. La vie m’a faite tout d’abord musicienne baroque. Cependant les verbes écouter et sentir ont toujours été fratrie pour moi. Le métier de musicienne m’a apporté non seulement la joie de jouer et partager, mais aussi la subtilité d’écoute. Après douze ans de concerts dans le monde entier, je suis revenue à mes premiers amours. Il m’avait fallu 20 ans d’assiduité pour devenir une musicienne de qualité, je voulais désormais donner du temps au temps afin « que mon nez soit mes oreilles ». A présent, je dirige le Studio indépendant de création de parfums Les Olfactines. Je joue de mon orgue olfactif pour créer des symphonies olfactives. N’est-ce pas finalement la même chose ? La musique et les parfums donnent chair à nos émotions et nous rendent plus vivants. C’est ce qui m’émerveille chaque jour et ce qui donne sens à ma vie. Mais le chemin ne se termine pas là… Je suis en train de créer ma propre marque de Parfum-Roman. En effet, la musique et les parfums m’ont toujours mené à l’écriture. Ayant la conviction que le parfum est un art, et que l’art est un chemin de l’esprit en quête d’émotions, j’ai voulu accoupler deux mondes en une seule respiration, dans un jeu de miroir et de fascination réciproque : les parfums et les romans. Des parfums incarnés, qui se lisent, se respirent et se portent. Mon premier Parfum-Roman s’intitule « La Croisée des Sillages » et sortira cette année.

Comment définiriez-vous le métier de Nez?

Dompteur de molécules ?

Sculpteur d’empreintes ?

Peintre de l’invisible ?

Tailleur d’ombres ?

Révélateur de traces ?

Musicien silencieux ?

Couturier de l’intime ?

Peut-être un peu tout ça à la fois… Je ne sais pas vraiment.

La seule chose dont je sois absolument certaine, c’est que le métier de compositeur de parfums est un art.

Comparable au métier de musicien, le parfumeur doit savoir conjuguer technique, exigence et discipline, empirisme et créativité. Et comme tout art, il est au service d’une émotion, de quelque chose qui se rapprocherait du « beau », de « l’éveil » et même du « sacré ». Le parfum comme apparat frivole et futile est loin derrière moi. N’oublions pas que le premier rôle des parfums en Egypte ancienne était sacré : C’est à travers la fumée (Per Fumum / Per Fumare) que les pensées et prières des hommes montaient vers le ciel.


Quel est selon vous le sens le plus connecté au parfum et pourquoi ? 


Nous sommes tous d’accord sur cette planète pour dire que le soleil est jaune ? Qu’en est-il pour nommer l’odeur de la rose ?…

 Nous n’avons aucun référent commun pour décrire le monde des odeurs comparé aux autres sens. Nous sommes donc obligés d’empreinter le vocabulaire des autres sens pour parler des odeurs. Pour ma part, dans la forme, je dirais que l’ouïe est le sens le plus connecté, mais dans le fond, ce serait plutôt le toucher. En effet, j’utilise un orgue à parfums, j’assemble des notes pour créer des accords olfactifs. La succession harmonieuse de ces accords donnera un parfum (une symphonie olfactive). Je travaille dans l’espace, je donne de la puissance, du sillage, de la rémanence (de la résonnance / notion d’acoustique olfactive). Je travaille dans le temps pour que mon parfum ait de la tenue (projection sonore / harmoniques / fondamentales). Tout ceci est bien apparenté à la musique. Cependant dans le fond, je cherche plutôt l’émotion par la gestuelle et les textures. C’est donc le sens du toucher qui s’exprime. Je cherche du moelleux, du rapeux, du piquant, du doux, du rêche, du collant, du soyeux, de l’organique, de l’incarné, du lisse, du poli, du velouté, du satiné, du granuleux, du mouillé, du tranchant… Et pour chacun de ces adjectifs apparentés au sens du toucher, il existe une ou plusieurs molécules odorantes correspondantes.

Vous créez des parfums sur mesure. Comment procédez-vous?

La création de parfum unique et sur mesure est un exercice de style aussi complexe que passionnant ! Tout d’abord je rencontre la personne. Un face à face de trois heures est nécessaire afin que je puisse avoir matière à créer. Ce rendez-vous se fait en deux temps. Premièrement sous forme d’échange. Je veux, je dois tout savoir ; Les goûts culinaires, musicaux, culturels, les souvenirs olfactifs de l’enfance, les environnements olfactifs de vie, le parcour olfactif, les odeurs refuges, celles détestées, les parfums portés, pourquoi, comment, à quelle période de vie… Je ne m’attache pas à l’aspect vestimentaire de la personne, ni à la couleur de ses cheveux (!), mais à ce qu’elle dégage, ce qu’elle insuffle. Dans un deuxième temps, je fais sentir des matières premières que je choisis en rapport aux réponses à l’échange. Je teste sa manière personnelle de décrire les odeurs sous forme de jeux, de portraits chinois et d’écriture automatique… La personne doit lâcher sans réfléchir tous ces ressentis. Ensuite, je lui demande de me donner à l’écrit le pourquoi de ce parfum. Quel sens lui donne t-elle ? Comment veut-elle se sentir, quels sont ses besoins dans le futur ? Comment veut-elle être « portée » par ce parfum ? Puis, je commence la phase créative. Je crée trois formules pour elle. Deux seront assez proches de son brief/profil, le troisième sera atypique et sortira complètement du cadre. Un mois après, je lui donne les trois propositions sous forme d’échantillons. Elle prend le temps de choisir. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu besoin de faire de grosses retouches ou de tout recommencer (je croise les doigts pour les autres à venir !). Je demande à la personne de nommer son parfum et nous procédons à la fabrication de son concentré, sa mise en flacon et son étiquetage personnalisé. La création mesure est un exercice de style très risqué, mais assez excitant. 

Quel commentaire concernant un de vos parfums vous a le plus marqué ? 

C’était il y a quelques années, pour un parfum sur mesure que j’avais créé pour une femme. Voilà ce qu’elle m’a dit :  «  Depuis que je porte mon parfum, j’ai moins de soucis avec mes collègues de travail, je me sens plus respectée et plus à ma place sur Terre ». Cela m’a marqué. Emu aussi. 

C’est d’ailleurs à partir de ce moment là que je suis devenue convaincue que l’on ne porte pas un parfum, mais que c’est lui qui nous porte. Quelque part. Sur le chemin de « soi », vers la sensation d’être au monde. Vivant.

Vous parfumez -vous ? Si oui, que portez-vous aujourd’hui ?


Je me parfume très peu depuis que je crée des parfums ! Quand on vit continuellement avec les odeurs, un peu de silence (olfactif) ne fait pas de mal.

 Lorsque je me parfume, je porte les essais en cours, pour « vivre avec » et analyser ce que je pourrais améliorer. Et si je me parfume pour une occasion particulière, je reviens aux parfums « affectifs », ceux qui ont marqué les moments importants de ma vie. Coco Chanel, Habanita de Molinard, Fleur d’Oranger de Lutens…

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